Le « deal »

Hier, je sors de chez moi pour me taper ma petite marche quotidienne quand après quelques centaines de mètres, j’aperçois ce taxi stationné dont je ne reconnais pas le lanternon. En m’approchant, je vois la plaque ontarienne et le chauffeur toujours à bord en train d’en griller une. De toute évidence, il attend son passager qu’il va sans doute ramener avec lui. En le croisant, je me tourne vers lui et lui lance : Good ride uh? Son sourire valait la peine que je m’arrête. Il venait de la banlieue de Toronto et avait fait un « deal » avec son passager qui devait brasser un tout autre type d’affaires. On n’a pas jasé longtemps, car son « affaire » était de retour, mais ça m’a rappelé cette course que j’ai faite il y a quelques années.

Ce samedi-là, je m’étais levé tôt et avais commencé à rouler dans l’après-midi. Je revenais de NDG et je roulais vers l’est sur la rue Saint-Jacques. Attendant sur un feu, j’aperçois ces trois blacks qui s’amènent dans ma direction. Ils montent à bord et celui qui s’assoit à côté de moi à une série de bagues qui doivent faire passablement de dommage à une gueule qu’on frappe. En fait, les trois semblent sortis d’un clip de « gangsta rap ». Ils ont l’attitude et n’ont pas besoin de rien dire pour imposer le respect. Un de ceux assis derrière me demande combien ça coûte un aller-retour vers Saint-Jérôme. Je suis tiraillé, car ces trois gars-là sont loin d’inspirer confiance. En même temps, on me propose une sacrée bonne course. Je dis que pour ce genre de voyage je suis prêt à leur faire un « deal » d’une vingtaine de piasses sur le prix du compteur et que ça ne serait pas en bas de 125-150 $. Les deux assis derrière se consultent et sans même négocier, ils acceptent. Je pars donc le compteur et retourne sur mes pas pour aller reprendre la 15 Nord.

Évidemment, j’aurais pu demander qu’on me paye dès le départ, mais mon instinct me dit que si je reste cool et que je ne fais pas mon « boss de bécosse », je n’aurai pas de trouble avec ces caïds. En tout cas, je me croise les doigts, car de toute évidence ils ne montent pas dans le nord pour faire du tourisme. C’est ce que je comprends en tout cas, chemin faisant. Y’ en a un des trois qui vient des États-Unis et j’ai rapidement le sentiment qu’il ne semble pas faire complètement confiance aux deux autres. Il pose beaucoup de questions et ne semble pas très à l’aise. Celui qui est assis avec lui ne cesse de le rassurer que tout va être correct, mais je sens quand même une certaine tension entre eux. Celui assis devant ne dira pas un mot du voyage et c’est tout juste s’il va respirer! Y’ a de la nervosité dans l’air et je ne suis pas nécessairement le plus calme même si je fais comme.

Après avoir quitté l’autoroute Décarie, un silence assez lourd s’installe, je décide donc de lever le son de la radio en espérant que la musique vienne adoucir les moeurs.
Ça adonne bien, car je tombe sur du reggae à CKUT. Mettons que ça a fait la job. J’étais toujours sur mes gardes, mais il faisait beau, y’ avait pas trop de trafic pis avec les basses à fond dans le taxi, les bons temps roulaient.

Le « deal » avait lieu au garage de la porte du Nord. Sur place, j’ai demandé une partie du montant de la course pour mettre de l’essence. Les deux gars qui étaient assis derrière sont partis de leur côté me laissant avec le bavard bagué. Tout s’est fait rapidement, le temps que j’aille payer, ils étaient de retour et déjà je sentais l’américain pas mal plus détendu. Je ne sais pas ce qu’il y avait dans le sac qu’il avait maintenant sur les jambes, mais ça devait être quelque chose avec quoi on ne veut pas nécessairement se faire arrêter. Dans un certain sens, c’est moi qui étais en contrôle à ce moment et je savais que les gars savaient que je savais qu’ils savaient que je savais….. Enfin bref.

Le retour à Montréal a été un peu plus long à cause de la circulation, mais l’ambiance était pas mal moins tendue. Tout le monde semblait être content du « deal». Un moment donné, l’américain me demande si ça m’intéresserait de l’amener le lendemain de l’autre côté de la frontière. J’ignore s’il disait ça sérieusement, mais je lui ai menti que je n’étais pas en service le dimanche. Y’a toujours des limites à jouer dans le trafic…

32 réflexions sur “Le « deal »

  1. C’est drôle ça parce que j’ai vu ce taxi ontarien dans le stationnement de mon « Office » … Je me suis posée des questions, j’ai fait faire une tite ride à mon imagination mais chui pas allée aussi loin que toi 😉

  2. T’as du nerf M. Léon!Tu craignais pas de te faire tabasser? Tu sais, une fois qu’ils savaient que tu savais qu’ils savaient…Heureusement ils ont préféré acheter ton silence avec le fric plutôt qu’avec les bagues!

  3. Une belle petite histoire qui se fini bien et qui aurait pu carrement mal finir… on se croirais dans un film ou le gangster dis au taxi: suivez ce véhicule! Enfin… très bien raconté tout ça toujours un plaisir de vous lire!

  4. Fantastique! Vous êtes un conteur né! N’avez-vous jamais pensé devenir écrivain? Vous excelleriez dans les polars. J’ai eu grand plaisir à vous lire.Quant au contenu du sac, je suis d’accord avec Anonyme: c’était sûrement du McDo! Lol! Ou peut-être du Kentucky!Je vous trouve très courageux et un peu « risqueux »: n’avez-vous pas craint que ça tourne au cauchemar, étant donné qu’ils « savaient que vous saviez »? Quant à la proposition de l’américain, vous avez fort bien fait de la refuser: ça sent le pas net!

  5. Monsieur, je découvre votre blogue et n’ai pas lu votre livre. Le taxi, monde magnifique s’il en est un. J’utilise ce mode de transport à tout moment de paresse m’éloignant du métro ou de la marche. C’est une bulle vide dans laquelle la plupart des chauffeurs haïtiens (dont vous n’êtes pas) parlent en créole au cellulaire pendant que vous pensez. Lorsqu’ils ont fini leur appel, je leur fais la conversation pour me remettre à jour sur l’évolution d’Haïti à laquelle toute la diaspora haïtienne semble encore très attachée. C’est vraiment un monde formidable, très instructif, un service essentiel, un moment de calme que vous rendez à la population affolée.Je continuerai à vous lire.

  6. Bon récit, mais je ne veux pas faire les troubles fêtes, mais si vous vous faîtes arrêter par la police ou au pire vous attendez bêtement et que la police intercepte le deal, est-ce que vous êtes considéré comme complice d’une certaine manière? Je ne pense pas. De toute façon, vos options face à cette situation sont assez limitées afin de ne pas avoir de trouble…

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