Poudré récurrent

Sur la « cruise » dans le bas de la ville, j’essaie de faire le tour des endroits où se trouvent des clients éventuels en tentant d’éviter le trafic, les travaux et surtout d’avoir le moins possible de confrères devant moi. L’art de tourner en rond finalement. Quand c’est calme, ça en devient presque un exercice zen ou du moins un bel apprentissage dans la pratique de ne pas péter les plombs.

En temps normal j’aurais passé tout droit quand j’ai vu les deux hommes s’approcher de moi. Quand un des deux a du mal à se tenir droit et s’accroche à l’autre pour ne pas tomber, ce n’est jamais bon signe. Mais bon… Je tasse le taxi sur le côté question de laisser passer les véhicules qui me suivent mais les deux hommes se foutent bien d’eux et ils s’amènent lentement en bloquant le passage. Ça se met à jouer du criard un peu plus loin mais ça n’accélère pas le processus. La portière est ouverte depuis une minute mais les deux gars s’obstinent, l’un des deux monte de peine et de misère alors que l’autre fait un doigt d’honneur à celui qui klaxonne.

-Eh boss, amène-nous au coin de Prince-Arthur et St-Laurent mais va pas trop vite on a un peu bu…

-Pas de problème.

Quand on a des clients chauds, faut savoir doser entre prendre son temps pour ne pas que ça brasse trop et clancher pour s’en débarrasser le plus vite possible. Mais dans ce cas-ci, comme on me le demande, je m’efforce de lever le pied autant que possible en m’assurant de ne pas rater une rouge. Pourtant je n’ai pas l’impression que les gars ont bu outre mesure. En fait le mec n’aidait pas l’autre à se tenir debout mais le forçait à venir avec lui pour poursuivre une soirée bien entamée. La conversation entre eux deux va dans ce sens.

-Faut que j’me lève de bonne heure demain, j’n’ai pas le goût d’aller là bas,come on man essayes de me comprendre!

-Voyons donc, une dernière petite tournée, ça ne te tueras pas, moins vite boss!

-J’t’avertis une bière pis j’m’en vas !

-Ben oui, ben oui. Aye j’t’ai dis d’aller moins vite !

Ça ne prend pas la tête à Papineau pour comprendre que le gars a coulé son cours de respect 101. Dans mon rétro je capte le regard de son chum qui a l’air un peu gêné. Je me renfrogne mais fait quand même ce que je peux pour ralentir encore un peu. En tournant le coin St-Antoine & St-Laurent, mon petit boss de bécosse lâche un « Tabarnaque! ». Je me retourne pour lui demander c’est quoi le problème exactement quand je me rends compte que le gars essayait de se sniffer une ligne sur l’écran de son cellulaire. J’me rends compte aussi que ce gars là, je l’ai déjà eu comme client. C’est monsieur : « C’mon! Avance! Pèse dessus! Move it! T’es capable » qui vient de foutre un peu de poudre sur ma banquette.

Je ris dans ma barbe en repensant à la dernière fois. Le gars semble toujours carburer à la blanche, semble toujours ne pas se rendre compte à quel point il est pathétique et comme la dernière fois, il sort de sa poche une palette de billets et me lance un 20$ en me répétant encore une fois de ralentir. J’ai envie de lui dire qu’il était un peu plus pressé la dernière fois mais à la place, j’ôte mon pied de l’accélérateur et laisse l’auto avancer sur son élan. Ça en devient carrément ridicule et le gars qui veut aller se coucher se rends bien compte que le niaisage a assez duré. Il me dit que ça va aller, que je peux poursuivre mon chemin normalement. Je sors de ma poche un 10$ et lui remet. La course ne devrait pas couter plus de 8$.

Mais le poudré ne l’entends pas de la même manière. Il ne veut pas son change. C’est sa façon de traiter les autres en leur fermant la gueule à coups de billets. En ce qui me concerne c’est hors de question que j’accepte servilement ce 10$ supplémentaire. De toute façon le gars à qui j’ai remis le change trouve également que c’est absurde et la course va se terminer de la même manière qu’elle a commencée, avec une portière ouverte et deux mecs en train de s’obstiner.

10 réflexions sur “Poudré récurrent

  1. Cette fois le « C’mon! Avance! Pèse dessus! Move it! T’es capable » c’était pour le frein et non l’accélérateur !! Une chance qu’il n’y a que deux pédales au planché !! (J’imagine que t’es pas en manuel).Un autre beau spécimen de la nuit de Montréal… quoi que dans son cas, c’est un rappel.

  2. C’est Mr Comet!C’est drole, mais quand tu parlais du palmares de blogs, je me demandais qu’est-ce qui faisait que le tien était si haut. Moi, je l’aime bcp, mais est-ce qu’il est si bon que ca?Si oui, qu’est-ce qui fait que c’est si bon?Ce texte la illustre vraiment bien le meilleur de ton style (a part quand tu nous tiens en haleine avec une histoire de crosse).ya de la psychologie de base. t’es bon pour lire le monde.ya un décor. un taxi. la nuit. univers un peu glauque. Les lumières orange des lampadaires sur St-laurent a travers les gouttes du pare-brise…Des personnages hors du commun (ils viennent a toit, mais faut surtout savoir les raconter).Pis ton livre, c’est pour quand?

  3. Y a toujours des clients « péteux de broue » qui se prennent pour le nombril du monde. Dépendemment de l’état d’ébriété, ils deviennent hargneux et arrogant. Ils s’imaginent que toute la voiture leur appartient. »Je te paye faque tu fermes ta gueule » que je me suis fait déjà répondre. Je les ai foutu dehors… Ils dessoûlerons au frais. Avoir voulu être ch… je les aurait débarqué dans un endroit désert :-)C’est pas drôle sur le coup mais bon, ça augmente l’adrénaline… pas vrai Léon ?

  4. J’adore te lire… et j’abhorre ce genre d’homme qui veut le pouvoir sur les autres… comme si l’argent achetait tout…merci de me faire visiter Montréal by night… je revois des spécimens dans ma mémoire que j’ai déjà croisé naguère au même coin de rue que leur destination…

  5. c’est pas des péteux de broue jean-françois, c’est des sniffeux de track, pas pareil,mais a la base de cette histoire me reviens l’image du gars avec sa track de poudre sur son écran de cellulaire, fais pas ben ben gros, yé pas si riche que ça le gars, les vrais trackeux font cela dans leurs gros chars et direct sur le dash, en conduisant avec un genoux, je vous le jure c’est ça des vrais trackeux de coke..

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